la téléphonie mobile, un toxique sans seuil - Pierre Dubochet

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Pour la Confédération, il existe des preuves que les rayonnements faibles présentent des risques sanitaires

«Des recherches ont abouti à des observations plus ou moins bien étayées montrant d’autres effets biologiques qui ne peuvent être imputés à un réchauffement. Des preuves suffisantes d’un effet sur les flux cérébraux ont été établies d’après des critères scientifiques. Quelques indices démontrent par ailleurs une influence sur l’irrigation du cerveau, un effet nocif sur la qualité du sperme, voire une déstabilisation du patrimoine génétique, ainsi que des répercussions sur l’expression des gènes, sur la mort programmée des cellules et sur le stress oxydatif des cellules» (OFEV 2019).

© Pierre Dubochet, ing. radio
toxicologie des RNI
26 mai 2020
modifié le 27 mai 2020

Toxiques à seuils versus toxiques sans seuil
Lecture : 11 min 40 |  3540 mots  | Article en 3 parties
Pour les «toxiques à seuil», des bases de données toxicologiques rassemblent les informations disponibles sur le danger de chaque polluant réglementé. Elles font appel à la «valeur toxicologique de référence», repère qui quantifie un risque pour la santé humaine au moyen de la relation dose-réponse.
L’exposition aux rayonnements non ionisants ne comprend pas de relation dose-réponse (ICNIRP 2001). L’incidence tumorale peut augmenter sans relation dose-effet (Anane 2003).
Avec l’exposition au RNI, il n’existe pas un effet maximal possible avec une valeur, pas plus qu’il n’existe une courbe qui montre une relation entre l’augmentation de la dose et l’augmentation d’un effet. Nous appelons cela un toxique sans seuil.
Par ailleurs, les agents cancérogènes agissant par un mécanisme génotoxique et potentiellement cancérogène sont dits toxiques sans seuil.
Le constat que les cellules de types ou de stades différents diffèrent considérablement entre elles par leur aptitude à donner des mutants ajoute une couche complexe à l’analyse.
Avec un toxique sans seuil, la dose augmente la probabilité d’atteinte
Avec un toxique sans seuil, «la relation dose-effet a pour conséquence une répartition aléatoire des cas de cancer, c’est-à-dire qu’avec l’augmen­tation des doses, ce n’est pas la gravité de la maladie qui s’accentue comme c’est le cas pour les lésions précoces mais plutôt la probabilité d’être atteint» (Toxicologie 2002). Le terme probabilité s’entend par unité de temps avec laquelle, dans des condi­tions à définir, il faut s’attendre à des effets nocifs après exposition.
S’il existait une relation exposition-réponse tumorale, les rayonnements auraient déjà été classés cancérogènes certains. CQFD.
Les études du NTP et de l’institut Ramazzini
Les deux études animales les plus rigoureuses concernant la relation entre cancer et exposition aux signaux des téléphones portables et des stations de base ont rendu leurs résultats en 2018.
La première, celle de l’U.S. National Toxicology Program (NTP), la plus vaste et la plus coûteuse étude de ce type conduite à ce jour sur le sujet, s’est concentrée sur l’exposition des téléphones mobiles. La seconde, celle de l’institut Ramazzini, s'est fixée sur l’exposition des stations de base et des téléphones mobiles.
Le rapport final du NTP publié en novembre 2018 conclut qu’il existe des indications sans équivoque de cancérogénicité, notamment pour une tumeur très rare, le schwannome cardiaque malin. Il s’agit d‘une forme de cancer qui survient rarement chez les rats et qui ne peut pas être expliquée comme une maladie aléatoire. Aucun des rats du groupe témoin n’a développé ce type de cancer.
Dans le compte-rendu, les auteurs du NTP préviennent: «Vu l’usage mondial généralisé des appareils de communications mobiles, par des utilisateurs de tous âges, même une augmentation très faible de l’incidence d’une maladie résultant d’une exposition aux rayonnements électromagnétiques pourrait avoir des conséquences importantes pour la santé publique» (NTP 2018).
L’étude Ramazzini, incluant 2'448 animaux sur dix ans, trouve trois fois plus de schwannomes chez les rats exposés à des intensités nettement moindres mais sous une durée d’exposition plus longue que l’étude NTP (Falcioni 2018).
En étudiant la cancérogénicité du benzène dans les années 1980, le NTP et l’Institut Ramazzini avaient obtenu, à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, les mêmes résultats: des carcinomes de la glande de Zymbal — des tumeurs très rares. La probabilité de trouver les mêmes tumeurs rares par hasard reste très faible. Ces découvertes avaient été violemment critiquées par des détracteurs. Le benzène fait maintenant partie des 120 agents cancérigènes connus.         
Le groupe consultatif BERENIS
En 2014, l’OFEV a mis en place un groupe consultatif d’experts en RNI (BERENIS, acronyme de la désignation en allemand) qui choisit de nouvelles études publiées et les commente dans une Newsletter publiée plusieurs fois l’an.
Dans son édition spéciale de la Newsletter de novembre  2018, le groupe BERENIS conclut: «Les études NTP et Ramazzini sont les études animales les plus étoffées réalisées à ce jour en ce qui concerne la relation entre cancer et exposition aux signaux des téléphones portables et des stations de base.»
Plus loin: «Les résultats de ces deux études animales sont d'une grande pertinence scientifique et revêtent une grande importance en matière de politique sanitaire, car, selon la classification du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), les résultats positifs des expériences sur des animaux exposés à vie sont d’une importance majeure pour la classification du risque de cancer.»
À noter qu’actuellement, Hisense, Wiko, Nokia, Blackberry, HTC, Huawei et Polaroid commercialisent des smartphones dont l’exposition (DAS tronc) dépasse la valeur d’exposition haute de l’étude du NTP, fixée à 6 W/kg. Cela pourrait élever le risque à un niveau encore plus élevé que celui trouvé par le NTP.
Le DAS (débit d’absorption spécifique) est l'énergie du rayonnement qui est absorbé par le corps humain. Le «DAS tronc» est associé aux usages où le smartphone est porté près du tronc, par exemple dans une poche de veste ou dans un sac. La valeur limite du «DAS tronc» est de 2 W/kg. Divers fabricants commercialisent des smartphones qui dépassent cette limite légale.
Les expositions provoquées dans ces deux études sont conformes à l’exposition provoquée par les stations de base suisses, que ce soit dans la rue, à domicile, au bureau, etc., et à l’exposition des smartphones commercialisés en Suisse.
Dr Fiorella Belpoggi, cheffe de la recherche à l’Institut Ramazzini et directrice du Centre de recherche sur le cancer Cesare Maltoni, où elle exerce depuis 1981: «Les deux études expérimentales fournissent des preuves suffisantes pour appeler à la réévaluation du potentiel cancérogène des radiofréquences chez l’homme par le CIRC qui a classé les radiofréquences dans la classe 2B des “cancérogènes possibles” en 2011. Des études récentes, y compris celles du NTP et de Ramazzini, sont de nature à confirmer une classification cancérogène plus élevée.»
Une réévaluation à la baisse des valeurs s’impose
Les choix des constructeurs de ces technologies radio exposent de plus en plus à la fois les usagers et les non-usagers. Derrière tout équipement habilement présenté comme «intelligent» se cache un processeur qui reçoit des données, les traite et émet des ondes radio.
Le but principal des appareils «intelligents» est de collecter en temps réel des données sur l’utilisateur et d’en maximiser le profit. La finalité impose des connexions régulières aux serveurs. Mes mesurages montrent qu’il est de plus en plus difficile d’empêcher ces émissions, car des concepteurs complexifient voire empêchent les fonctions de déconnexion.
J’ai mesuré plusieurs centaines de connexions par heure avec certains smartphones abandonnés sur une table depuis plusieurs heures. Année après année, la dose d’exposition quotidienne des individus augmente, en raison de la hausse de ces connexions intempestives et de la multiplication des objets connectés.
Chargées de la santé publique, l’OFEV et de l’OFSP devraient réévaluer à la baisse les limites applicables aux communications mobiles sur la base de ces faits.
L’exposition quasi permanente met chaque individu aux prises d’une probabilité grandissante de dommages. Vu que nous ne connaissons pas l’ampleur du danger, nous ne pouvons ni l’évaluer ni décider s’il est ou non acceptable. La seule discussion que nous pouvons avoir maintenant concerne le degré d’incertitude que nous acceptons.
Certains s’emploient à rejeter la preuve forte de ces dommages en faisant valoir que le mécanisme par lequel les rayonnements faibles peuvent entraîner des dommages est inconnu. Ces limites intellectuelles ne font que retarder de nécessaires décisions. Nul ne conteste la toxicité de l’arsenic et des dioxines, pourtant leurs mécanismes sous-jacents d’action cancérogène sont inconnus.

«La seule discussion que nous pouvons maintenant avoir porte en fait sur le degré d’incertitude que nous acceptons.»

L’efficacité de réparation de l’ADN diminue avec l’âge
Le métabolisme et les facteurs environnementaux conduisent à des lésions de l’ADN au quotidien. Premiers coupables: le rayonnement ultraviolet, les rayonnements non ionisants, les rayonnements ionisants et les agents génotoxiques. Des molécules toxiques pour l’ADN sont utilisées comme outil thérapeutique, notamment en chimiothérapie (ex.: les antimitotiques).
Le vivant a développé de nombreux mécanismes de reconnaissance et de réponse afin de réparer spécifiquement chacun des types de lésions possibles —dont les conséquences diffèrent selon les organes—, de sorte que l’ensemble du génome soit recopié le plus fidèlement dans chaque réplication de cellule.
Cette stabilité diminue avec l’âge: «Les effets sont clairement plus prononcés dans les cellules provenant de donneurs plus âgés, ce qui pourrait révéler une diminution de l’efficacité de réparation de l’ADN liée à l’âge pour les ruptures de brins d’ADN soumis aux RNI» (Reflex 2004).
Nous ignorons quels sont les marqueurs qui indiquent si l’organisme est suffisamment stable pour protéger convenablement l’ADN chromosomique contre l’accumulation des mutations.
À l’ordinaire, une cellule qui ne parvient pas à se réparer suit le cours de sa mort, programmée (apoptose). Cependant, le RNI peut empêcher le processus habituel d’apoptose, de sorte que la cellule à l’ADN affecté continue à vivre et, par division cellulaire, donne naissance à de nouvelles générations de cellules incapables de remplir leurs fonctions normales (Napotnik 2016; Levitt 2010; Makker 2009).
Le rayonnement de la téléphonie mobile participe à la dérégulation des mécanismes de signalisation et de réparation, et dès lors il participe à l’instabilité génétique. Les cassures double brin dues à ces rayonnements sont des dommages à fort risque pour la cellule, car elles peuvent entraîner la perte d’un fragment de chromosome.
Les modifications de la nature ou de la séquence de ces bases sont dits effets mutagènes.
Si les lésions chromosomiques ont atteint des cellules germinales, ces mutations peuvent devenir héréditaires et se transmettre à toutes les cellules de la descendance, en entraînant un risque tératogène. Tératogène signifie développement anormal de l’embryon conduisant à des malformations.
Si les lésions chromosomiques ont atteint des cellules somatiques, elles peuvent conduire à des effets cancéreux, car les éléments mutagènes perturbent souvent le contrôle de la croissance des cellules. Toute tumeur commence avec l’altération de l’ADN d’une cellule unique, qui se réplique ensuite à l’identique.
Le glycocalix (enveloppe externe) d’une cellule devenue cancéreuse subit des changements radicaux. Parfois sa composition change constamment. Cette particularité peut la faire échapper aux mécanismes de reconnaissance du système immunitaire qui l’aurait sinon détruite.
L’industrie nucléaire et le risque d’atteinte génétique
Par le passé, une technologie entraînant un risque considérable de dommages génétiques à la population a été imposée grâce à un monopole d’État. Il est instructif d’observer comment l’industrie nucléaire, qui n’avait les faveurs que de quelques-uns, a pu balayer les arguments les plus fondés des meilleurs scientifiques d’alors sur la menace atomique.
Ce type de scénario, certains cherchent à tout prix à le réaliser avec le rayonnement non ionisant, au moment même où vous lisez cet article. Comment s’y prendre pour rendre acceptable le risque d’atteinte génétique de la téléphonie mobile? Ainsi que nous l’avons vu, la téléphonie mobile présente un élément similaire à l’électronucléaire de jadis: les deux technologies sont discutées sous monopole d’État.
Qui plus est, ce dernier gère également les atteintes nuisibles ou incommodantes causées par l’exploitation de la téléphonie mobile.
Retour en arrière de 74 ans, à une époque où l’industrie électrique se montrait largement réservée à l’égard de l’énergie nucléaire puisqu’elle concentrait ses moyens sur l’utilisation de la force hydraulique. Jugez plutôt: quatorze barrages étaient achevés en Suisse dans les années 1920, dix-sept dans les années 1930, treize dans les années 1940.
En 1946, le Parlement suisse donnait une base légale à l’industrie électrique nucléaire tout en éludant le risque majeur d’atteintes génétiques pour les individus et leurs descendants. Institutions démocratiques, élus nationaux et locaux, partis politiques, et autres institutions scientifiques ou médicales, nul n’a obtenu un débat pourtant nécessaire.
Pour sa part, la presse voue un culte à la science atomique pacifique, tandis que se répandent les substances luminescentes radioactives et les téléviseurs générateurs de rayons X.
Le gouvernement jouissait alors d’un pouvoir autoritaire du régime dit de la procuration commandé par la situation mondiale. Ce pouvoir lui a été retiré en 1949, à la suite de la majorité obtenue avec l’initiative populaire fédérale «Retour à la démocratie directe».
Filière à haut risque, l’industrie nucléaire a échappé au droit commun à la faveur de la création d’une réglementation spécifique et d’une technocratie propre. Le droit nucléaire ultérieur représentera généralement la transcription des besoins techniques des acteurs de la filière, très rarement le résultat de débats politiques ouverts.
Le secteur médical est aussi friand de radiations ionisantes. Une étude démontre que l’exposition in utero d’un seul cliché aux rayons X (soit une fraction infinitésimale de la dose considérée alors comme inoffensive) provoque divers cancers infantiles dès le premier âge de la vie, remettant en cause la croyance d’une dose seuil (Stewart 1956).
Des généticiens reconnus entrent dans l’arène
Une décennie après la mise en place de la base légale de l'industrie nucléaire en Suisse, des généticiens, dont le Nobel de génétique américain de réputation mondiale Hermann Muller, le physicien Rolf Sievert, le Pr Jérôme Lejeune et d’autres sommités se réunissent sous l’égide de l’OMS pour éclairer le monde sur ces choix politiques.
Lauréat du prix Nobel de physiologie ou médecine de 1946, Muller a posé les bases de l’étude des effets des rayonnements ionisants sur le génome.
En développant les bases de calcul des doses absorbées, en inventant des dosimètres, Rolf Sievert a permis une contribution essentielle à la physique clinique. Cela lui a valu de donner son nom à une grandeur physique mesurant l’impact de l’exposition des tissus biologiques. Sievert est également à l’origine de l’introduction de la loi sur la protection contre les rayonnements ionisants en Suède.
En découvrant la trisomie 21 avec Marthe Gautier et Raymond Turpin, puis la trisomie 16, le Pr Jérôme Lejeune a établi le lien entre un retard mental et une anomalie chromosomique.
«La possession la plus intime et la plus précieuse de l'homme est son patrimoine héréditaire dont est fonction le développement sain et harmonieux des générations à venir. Or, le Groupe d'études estime que le bien-être des descendants à naître de la génération présente est menacé par l'emploi grandissant qui est fait de l'énergie nucléaire et des sources de rayonnement», sont les premiers mots de l'introduction de la publication qu’ils cosignent l’année suivante (OMS 1957).
La publication est sous embargo: «La distribution de ce rapport est limitée et aucun compte rendu ne devra être publié à son sujet tant que le directeur général n’en aura pas autorisé la distribution générale», signale la note MH/24,56 Rev.1.
Les experts relèvent que la quantité de radiations ionisantes naturelles auxquelles nous sommes inévitablement exposés est assez proche de la dose qui présente des risques pour les gonades. Toute augmentation des radionucléides artificiels provoque des mutations néfastes à la santé.
Alors que le passage au stade industriel en est à ses balbutiements en ces années 1950, le caractère ingérable des conséquences d’une catastrophe nucléaire est reconnu par les experts nucléaires sans lien d'intérêts. Tous s’accordent que de très vastes territoires seraient contaminés pour des centaines voire des milliers d’années.
Dans l’esprit de ces savants, les futures catastrophes de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima sont objectives, indubitables, et ne pourront que révéler notre incapacité technique en situation nucléaire extrême.
Ces technologies «ont mis en lumière les graves problèmes que posent les effets à long terme du rayonnement sur l’homme et sur son milieu [...] Le Groupe tient à appeler l’attention sur les faits qui montrent que les lésions provoquées dans les tissus par des doses de rayonnement même assez faibles résultent, en partie tout au moins, d’effets sur les gènes et les chromosomes».
Enfin, «Il est même douteux que l’on n’arrive jamais à prévoir avec exactitude l’ampleur des effets que peut produire un accroissement donné de la radioactivité ambiante».
Les premières mises en exploitation commerciale ont lieu. Comme pour donner un écho aux avertissements des généticiens, deux catastrophes nucléaires se produisent coup sur coup. La première a lieu en Russie à Kyshtym en septembre, la seconde en Grande-Bretagne à Windscale-Sellafield en octobre 1957. L’échelle internationale des événements nucléaires (INES) compte 7 niveaux, 7 définissant la pire catastrophe. L’événement de Kyshtym est classé INES 6. Celui de Windscale-Sellafield INES 5, à peine un an après l’ouverture du site.
Actuellement (mai 2020, et cela depuis des années), le site internet des archives de l'OMS ne propose pas ce rapport de 1957 «Effets génétiques des radiations chez l’homme». La page de téléchargement comporte un lien qui est en réalité le lien de la page elle-même.  
Réactions aux avertissements des généticiens
En 1958, les cinq puissances nucléaires fondent l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le plus grand promoteur de l’énergie nucléaire civile au monde. Et l’installe au sommet de la hiérarchie de l’ONU. L’AIEA fait rapport au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale. L’OMS, quant à elle, est une institution spécialisée qui rapporte au Conseil économique et social.
Le rapport de 1957 du prix Nobel de génétique Muller et des autres experts mondiaux a créé une prise de conscience sur le risque démesuré que représente l’atteinte au génome humain. Sapée à sa base, l’industrie nucléaire n’entend pas en rester là. Elle convainc l’OMS de former un nouveau groupe d’étude sur l’utilisation pacifique de l’atome.
Il est évidemment difficile de contrer scientifiquement la très haute expertise du rapport de 1957 sans se disqualifier comme scientifique ou docteur. Le nouveau rapport de l'OMS, portant le numéro 151, va donc aborder le sujet sur un angle résolument différent. Ce sera celui de la «santé mentale». Pas tellement le risque de dégradation mentale due aux rayonnements, mais plutôt la santé mentale des opposants aux usines électronucléaires.
Les experts? Un promoteur du nucléaire qui dirige un laboratoire des isotopes en France, le Dr Maurice Tubiana, directement nommé expert consultant à l’OMS puis président des comités scientifiques de l’AIEA en 1960. Tout au long se sa carrière, Tubiana n’aura de cesse d’affirmer l’absence d’effets pathologiques de la radioactivité à faible dose, pure désinformation (Brenner et Sachs 2006).
Trois psychiatres: Dr Brock Chisholm, le Pr Hans Hoff et le Dr P.J. Reiter, qui ne disposent d’aucune étude digne de ce nom pour étayer leurs spéculations qu’ils font passer pour de la science. Le Dr J.S. Riach, dont les activités de radiothérapeute sont visées par le rapport de 1957 et l’étude implacable de Stewart. Le Pr A.H. Leighton, à la formation de philosophe, et l’écrivain et journaliste Ritchie Calder.
Le Dr Austin M. Brues, directeur de la division biologie et médecine d’un laboratoire américain, auteur d’un article sur l’émotivité dans la recherche par quelques années plus tôt (Brues 1955), ne montre pas non plus un savoir scientifique à la hauteur de la situation.
Bien qu’il cherche à «mériter l’attention des autorités», on peine à imaginer qu’un tel panel ait les compétences pour convaincre de la fausseté du contenu solide du rapport de 1957. Un panel qui le reconnaît, «on possède peu de données bien établies intéressant la santé mentale». Non seulement on en sait peu, mais «on ne possède même pas les techniques de base qui permettraient d’entreprendre de telles recherches dans l’immédiat».
Leur texte du rapport 151 ne fait que broder. Parfois misérablement: «L’inquiétude qui se manifeste à propos de l’évacuation des déchets atomiques est absolument hors de proportion avec l’importance du problème, et il y a de fortes raisons de penser que la crainte des retombées radioactives dérive partiellement d’une association symbo­lique entre les déchets radioactifs et les excréments corporels.»
Aujourd'hui encore, aucune solution de stockage définitif n'a été trouvée.
La radioactivité? «Il ne s’agit pourtant que d’un risque parmi beaucoup d’autres qui font partie du lot normal des êtres vivants», ce qui constitue un scandaleux mensonge considérant les dégâts que peuvent provoquer une centrale. L’OMS prône «l’ignorance» pour permettre à l’industrie nucléaire de proliférer sans susciter l’opposition de la population.
Au vu de la catastrophe de Windscale-Sellafield, on ne peut que constater que le rapport du groupe de travail de l’OMS désinforme en martelant «qu’il a été officiellement établi, et scientifiquement confirmé, que les installations d’énergie atomique sont sans danger pour le voisinage». Les opposants usent d’arguments «absolument futiles ou empreints d’un sentimentalisme excessif».
Désinformation encore s’agissant du danger auquel l’enfant en gestation peut se trouver exposé, en référence à l’étude de Stewart: «Il faut préciser que, à en juger d’après les faits connus, l’embryon ne semble subir aucune lésion du fait de doses accumulées peu à peu, dans la limite du niveau maximum admissible pour les irradiations profession­nelles».
Le groupe de l’OMS ajoute: «Il peut même être dangereux, dans ce cas, de diffuser des faits tenus pour certains». On ne peut être que peiné de constater l'implication du premier directeur général Dr Brock Chisholm dans une publication aussi invraisemblable. Dire que c'est à lui que l'on doit le nom «Organisation mondiale de la santé»...
Pour avancer dans la connaissance du risque nucléaire, ce groupe de travail de l’OMS suggère de constituer des groupes de «représentants hautement qualifiés de plusieurs disciplines, par exemple un psychiatre, un psychologue, un sociologue et un journaliste».
Des experts aussi incompétents que les rédacteurs du rapport 151 de l'OMS ne pouvaient qu’inciter les gouvernements à implanter les installations atomiques non pas dans des régions isolées, mais à proximité des centres urbains, pour «apaiser les craintes du public». Résultat: 346’000 personnes déplacées à Tchernobyl, 400’000 à Fukushima, dont la majeure part a tout perdu et ne retournera jamais à son domicile.
Par le biais de l’OMS, des hurluberlus peuvent donc favoriser une industrie faisant courir des risques incontrôlables, non seulement à la population humaine mais à sa descendance, en usant de désinformation massivement propagée grâce au formidable bras de levier que représente cette organisation.
En 1959, l’OMS accepte de subordonner toutes ses communications sur le nucléaire à la validation de l’AIEA. Pieds et poings liés par l’Accord WHA 12-40, l’OMS ne pourra plus jamais entreprendre une démarche qui compromettrait les activités de l’AIEA.
Depuis, lorsque vous lisez un document sur le sujet de l’électronucléaire portant le sigle de l’OMS, vous lisez en fait une publication de l’AIEA. Le rapport de 1957 passe aux oubliettes. Quel que soit le risque génétique pour les populations, la voie est libre pour l’industrie nucléaire depuis 1959.
En 2018, on comptait 453 réacteurs en service dans 198 centrales réparties dans 28 pays.
Selon l'expert indépendant des marchés financiers Kaspar Müller, les coûts actuels moyens de production de 6,2 centimes par kilowattheure des centrales suisses (Beznau, Leibstadt et Gösgen) sont 75% plus chers que le prix de vente du marché, d'environ 3,5 centimes par kilowattheure.
Pour avoir étudié les risques des rayonnements ionisants (par exemple le risque des centrales nucléaires) et le risque des rayonnements non ionisants (par exemple celui de la téléphonie mobile), j’avoue être surpris du nombre de similitudes dans les actions entreprises pour imposer une technologie.
Ces publications complèteront utilement votre savoir :
Références
Brenner David et Sachs Rainer K. «Points de vue d’experts  de l’Université Columbia, New York, et de l’université de Californie, Berkeley»,  in «Controverse: les faibles doses de radiations ionisantes sont-elles  carcinogéniques?», Bulletin ·épidémiologique hebdomadaire, n° 15-16, 2006.
Brues J. S. «The New Emotionalism in Research» Journal of  Cancer Research, juillet 1955 p. 345-6.
Falcioni L, Bua L, Tibaldi E, Lauriola M, De Angelis L, Gnudi F, Mandrioli D, Manservigi M, Manservisi F, Manzoli I, Menghetti I, Montella R, Panzacchi S, Sgargi D, Strollo V, Vornoli A, Belpoggi F (2018): Report of final results regarding brain and heart tumors in Sprague-Dawley rats exposed from prenatal life until natural death to mobile phone radiofrequency field representative of a 1.8 GHz GSM base station environmental emission. Environ Res. 2018 Mar 7.
NTP (2018a): Actions from Peer Review of the Draft NTP Technical Reports on Cell Phone Radiofrequency Radiation March 26-28, 2018. National Toxicology Program, U.S. Department of Health and Human Services.
NTP (2018b): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in B6C3F1/N mice exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (1,900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 596. Released 2 Feb 2018.
NTP (2018c): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in Hsd: Sprague Dawley SD rats exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 595. Released 2 Feb 2018.
NTP (2018d): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in B6C3F1/N mice exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (1,900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 596. Released 1 Nov 2018.
NTP (2018e): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in Hsd: Sprague Dawley SD rats exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 595. Released 1 Nov 2018.
OFEV. Office fédéral de l’environnement, Informations à  l’intention des cantons du 17 avril 2019.
OMS, Effets génétiques des radiations chez l’homme,  1957.
OMS, Questions de santé mentale que pose l’utilisation de  l’énergie atomique à des fins pacifiques, 1958.
ICNIRP, Guidelines for limiting exposure to electric,  magnetic and electromagnetic fields, 2001 p. 4.
Stewart Alice, Leucémie infantile en Grande-Bretagne, avec  le Lady Tata Memorial Fund for Leukemia Research, British Medical Journal,  1956.
Toxicologie, Taschenatlas der Toxikologie, 2nd ed., by Franz-Xavier Reichl,  traduction de la 2e édition allemande Guide pratique de toxicologie, Éditions De  Boeck Université, 2002, p 288.
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