obligation de notifier - Pierre Dubochet

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Chaque fois qu'un émetteur est mis à l'enquête, l'exploitant doit déposer une fiche de données spécifiques au site

Depuis quatre ans, les opérateurs déposent des demandes de permis de construire des stations de base de téléphonie mobile 5G. En moyenne annuelle, ils demandent 600 mises à jour de stations plus 760 nouvelles mises en service. À chaque fois, la «fiche de données spécifiques au site» déposée par l’opérateur pour la mise à l’enquête doit être analysée.
© Pierre Dubochet, ing. radio
toxicologie des RNI
conflit d'intérêts : aucun avec cet article
11 avril 2023
Aucune consultation de la population irradiée
Lecture : 7 min | 2100 mots
Au centre du débat, l’intensité du rayonnement à haute fréquence émis par les antennes cachées par un radôme en fibre de verre souvent gris ou vert. Elles émettent jusqu’à huit fréquences simultanément. Les antennes adaptatives 5G sont parfois séparées, parfois incluses dans ce grand panneau dont la longueur peut dépasser 2,75 m pour une largeur comprise souvent entre 25 et 45 cm et d’un poids parfois supérieur à 45 kg.
L’ordonnance sur le rayonnement non ionisant (ORNI) légifère sur les possibilités offertes à un émetteur de rayonner des ondes à haute fréquence dans l’environnement. En particulier elle stipule les valeurs limites, fixées à 5 V/m pour la plupart des stations de base de téléphonie mobile (art. 64 ORNI).
Pour mémoire, l’Académie européenne de médecine environnementale a fixé une valeur indicative préventive diurne de 0,2 V/m pour l’adulte en bonne santé et une valeur de 0,06 V/m durant le sommeil.
Le peuple suisse est traditionnellement attaché à des pouvoirs publics transparents, objectifs, proportionnés et équitables. Quand le Suisse n’est pas satisfait par un projet de construction, il s’y oppose, il fait recours. Mais, exclu de toute la procédure, il n’a que le droit d’être entendu... quand tout est mis au point.
Notre ministre de la santé en exercice Alain Berset a vu juste lorsque, dans son opposition du 28 avril 2018 à une station proche de son domicile, il écrit aux autorités communales «Une étude d’impact réalisée par un bureau indépendant, tenant compte de l’ensemble des critères pertinents (besoin de l’antenne, choix de l’emplacement sur le plan technique, choix de l’emplacement sur le plan de la protection du patrimoine nature et construit, choix de l’emplacement sur le plan de la protection du paysage, choix de l’emplacement sur le plan de la protection de la santé, etc.), est un prérequis nécessaire».
Figure 1. Explications du ministre de la Santé en exercice Alain Berset dans son opposition privée à une mise à l'enquête de station de base de téléphonie mobile, en 2018.
Notre ministre de la santé Alain Berset juge qu’il ne faut pas laisser à l’opérateur —en l’occurrence il s’agissait de Swisscom— toute liberté du choix de l’emplacement d’une antenne. Cela semble aller de soi, mais pas pour tout le monde.
Le fait est que les autorités considèrent le public comme un objet jusqu’à ce que tout soit décidé. Quand le chantier de l’émetteur est prêt à démarrer, pas avant, le public devient une «partie» à la procédure. Il a le droit de consulter le dossier, le droit de se prononcer, le droit d’offrir des preuves et a droit à une décision motivée.
Les contraintes pour l’opérateur
Entre autres contraintes pour l’opérateur, celles de choisir un site convenable sous l’angle de la couverture radio, puis de vérifier de nombreux règlements de construction variables par cantons et communes, les servitudes et l’attestation d’un notaire si des actes doivent être établis, la valeur patrimoniale de bâtiments proches, la modification du domaine public, l’occupation temporaire du domaine public, la suppression de place de stationnement, l’accès des pompiers, le bruit, les travaux sur ou sous le réseau routier ou à moins de 20 m d’une autoroute ou d’une bretelle d’accès.
Et encore le cadastre du sous-sol en cas de construction au sol, la possibilité d’accéder pour excaver ou remblayer, la gestion des déchets, l’éventuel abattage d’arbres, les travaux à moins de 20 m de la lisière forestière, le cas où un ou plusieurs locataires sont amenés à partir provisoirement ou définitivement, si des parties communes ou l’enveloppe du bâtiment sont modifiées, si les charges en particulier énergétiques sont modifiées, l’impact sur les eaux, la conformité à la navigation aérienne à proximité d’aéroports, les risques spéciaux à proximité de dépôts de carburants ou d’installation au gaz de pétrole liquéfié, etc.
Des discussions sur la prise en compte de la sécurité sismique sont en cours.
Un bureau d’ingénieurs procède aux dessins et calculs afin que l’installation s’intègre au site, respecte les règlements, qu’elle soit performante sur le plan du réseau cellulaire et qu’elle soit conforme à l’ORNI. Une fois que tout est renseigné, l’opérateur doit envoyer, selon la commune, jusqu’à dix exemplaires de la demande de permis de construire, de la fiche de données spécifiques au site, des plans et du plan d’implantation. Ce qui peut dépasser mille pages.
C’est pourquoi je signale l’invraisemblance de la structure administrative qui offre au public une fenêtre temporelle d’analyse et d’opposition à une station de base de téléphonie mobile lorsque l’opérateur s’est largement investi dans le projet au point qu’il est déraisonnable de l’abandonner.
L’obligation de notifier
Avant d’exploiter un émetteur, l’opérateur est tenu à «l’obligation de notifier» (art. 11 ORNI) qu’il fait au moyen de la «fiche de données spécifiques au site». Elle fournit à l’autorité compétente en matière d’autorisation toutes les données déterminantes pour l’émission des rayonnements calculées lorsque l’émetteur est exploité dans le «mode d’exploitation déterminant», c’est-à-dire à sa puissance maximale.
Un endroit de passage est appelé un lieu de séjour momentané (LSM). Le LSM le plus exposé au rayonnement est calculé sur la «fiche complémentaire 3a». Le champ électrique maximal autorisé est en général de 50 V/m. L’ordonnance demande: «le lieu accessible où ce rayonnement est le plus fort» (ORNI art. 11 ch. 2 let. c 1). L’opérateur détermine parfois le LSM au pied du mât où l’atténuation verticale est la plus forte; pourtant le champ électrique est souvent plus élevé à quelque distance.
«Les locaux situés à l’intérieur d’un bâtiment dans lesquels des personnes séjournent régulièrement durant une période prolongée» sont appelés lieux à utilisation sensible (LUS, art. 3 ch. 3 ORNI). Les places de jeux publiques ou privées définies dans un plan d’aménagement et les parties de terrains constructibles sont aussi des LUS. Ces lieux aux alentours des antennes sont examinés avec beaucoup d’attention: «la valeur limite de l’installation» (VLInst), autrement dit l’intensité maximale du rayonnement, doit y être respectée. Pour la plupart des émetteurs, cette valeur est de 5 volts par mètre (V/m). Plus rarement, elle vaut 6 V/m. La fiche de données spécifiques au site doit mentionner «les trois “lieux à utilisation sensible” [LUS] où ce rayonnement est le plus fort» (art. 11 al. 2 ORNI).
La prévision de rayonnement dans chaque LUS est calculée dans une «fiche complémentaire 4a», au nombre de trois à quinze. Leur résultat est reporté dans une page de résultats des «fiches complémentaires». Ces informations sont à présenter sur un plan.
Une fiche est une suite de calculs. Pour simplifier, le calcul tient compte de la puissance émettrice, du diagramme d’antenne (la largeur et la hauteur du «lobe» du rayonnement, soit la zone où son intensité est la plus élevée), de la direction d’émission (l’azimut, par rapport au nord, à 0°), de la distance, de la différence de hauteur à l’antenne et de la position angulaire par rapport à la direction principale de propagation. La contribution de chaque antenne est ensuite ajoutée, ainsi que l’atténuation du bâtiment, souvent nulle. Voici un exemple de «fiche complémentaire 4a» pour un LUS.
Une grande partie de l’affaire dépend de l’exactitude des données et des calculs de cette fiche. Pour qu’elle soit mise à l’enquête, la fiche doit apporter la preuve que la valeur limite de l’installation est respectée dans les LUS les plus exposés ou les plus proches du voisinage.

«Pour mémoire, l’Académie européenne de médecine environnementale a fixé une valeur indicative préventive diurne de 0,2 V/m pour l’adulte en bonne santé et une valeur de 0,06 V/m durant le sommeil.»

LUS | lieu à utilisation sensible
  • les locaux situés à l’intérieur d’un bâtiment dans lesquels des personnes séjournent régulièrement durant une période prolongée;
  • les places de jeux publiques ou privées, définies dans un plan d’aménagement;
  • les parties de terrains non bâtis sur lesquelles des activités au sens ci-dessus sont permises.
[ORNI, art. 3, ch. 3]
Un quart à un tiers des fiches rejetées
L’opérateur fait vérifier sa fiche de données spécifiques au site par le service cantonal de rayonnements. Une prévision du rayonnement calculé inférieure à la valeur limite de l’installation est déterminante pour obtenir l’autorisation de construire l’installation. Une installation n’est autorisée que si cette valeur est mathématiquement respectée où elle doit l’être. Dans le cas où la VLInst vaut 5 V/m, la fiche de données spécifiques au site est conforme si un LUS est mentionné à 4,99 V/m et deux autres à quelques centièmes de volt par mètre en dessous.
Entre un quart à un tiers des fiche de données spécifiques au site ne franchissent pas cette étape, selon la DTAP (1). L’énorme proportion de fiches rejetées interroge sachant qu’on installe de tels émetteurs depuis trois décennies. Il existe un évident problème de fond quant à la conformité des fiche de données spécifiques au site sortant des bureaux d’ingénieurs et destinées à une mise à l’enquête d’une station de base.
La fiche de données spécifiques au site reconnue exacte par le service cantonal est transmise à la commune. Validée par le service cantonal, la fiche de données spécifiques au site constitue une preuve juridique que l’émetteur sera conforme à l’ordonnance sur le rayonnement non ionisant. Comprenez que dès ce moment, en ce qui concerne l’ORNI, l’opérateur est assuré d’avoir le permis de construire puisque la fiche de données spécifiques au site soutient que la valeur limite de l’installation sera respectée dans les LUS.
Mise à l’enquête publique
La commune procède à la mise à l’enquête publique. Une étape qui dure trente jours; quatorze dans le canton de Fribourg. C’est dans cet espace de temps que la population touchée par le rayonnement de l’émetteur projeté se trouve devant l’alternative de l’accepter ou de s’engager dans une procédure juridique coûteuse. Le pot de terre contre le pot de fer.
Encore faut-il que les intéressés suivent de près les mises à l’enquête. Car le système suisse ne prévoit pas que les personnes les plus touchées par le rayonnement, dont les adresses, connues du futur exploitant et figurant de manière explicite sur la fiche de données spécifiques au site, soient informées. Voir ci-dessous la figure 2.
Figure 2. Inscription de l'adresse exacte sur une fiche complémentaire 4a.
Certaines communes entravent la prise de connaissance de l’affaire et la possibilité d’obtenir les documents en publiant l’avis de mise à l’enquête dans la feuille officielle durant les vacances d’été ou d’hiver. Ne posent ni gabarit ni panneau alors que le règlement communal les prévoient. Ou empêchent de disposer de copies, violant le droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.; art. 41 LPA en procédure administrative dans le canton de Genève). In fine, ces comportements entraînent des frais importants aux riverains, car si l’opposition est une procédure gratuite, le manque de temps pour fonder une critique approfondie en fait des recourants soumis à procédure payante.
À l’heure où sont connectables une couche-culotte (!), une prothèse du genou (re !), des semelles, des gourdes ou la litière pour chat (si si), il est révélatoire d’observer que le seul canal d’information obligatoire sur une future station-relais est la désuète feuille d’avis officiels, délaissée de la population générale. Il n’est pas rare d’être confronté à une administration qui refuse l’envoi des fichiers PDF par courriel et opte pour l’enveloppe postale à l’adresse manuscrite qui achemine cinquante pages et plus après une semaine, en sus d’une facture au montant, rapporté à l’effort d’un courriel, exorbitant. J’ai la désagréable certitude que pouvoir s’abonner à sa cyberadministration pour recevoir au jour le jour les mises à l’enquête des stations-relais n’est pas pour demain.
Comment est-il possible qu’on en soit encore là, alors qu’on nous vante la «Stratégie Suisse numérique» qui «place l’individu au centre d’une société suisse de l’information et du savoir inclusive et démocratique» et tend au développement numérique de la société dans une démarche de «protection de la personne et de ses droits ainsi que de plus grandes possibilités de jouer un rôle actif»? Et dire que le premier serveur et navigateur web a été mis en service en Suisse en 1990!
Lorsqu’enfin vous avez la fiche d’un émetteur, vous découvrez peut-être 104 pages, dont 63 des 71 pages de calculs tapissent l’illustration d’en-tête de cet article, et jusqu’à 22 diagrammes d’antenne. Dix LUS sont notés avec plus de 4,5 V/m. Comment vérifier la conformité de l’installation dans le temps imparti?
On aurait voulu rendre la vie impossible au riverain tout en lui faisant miroiter un droit d’opposition —tarabiscoté— qu’on n’aurait pas fait autrement.
(À suivre).
Ces publications complèteront utilement votre savoir :
Références:

1. Téléphonie mobile ‐ Examen de simplifications pour la procédure d’autorisation, Document de travail, Rapport final à l’att. de la CCE et de la DTAP,  Zurich, le 15 novembre 2019, pages 10-11. Remonter au paragraphe.
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