pour la Confédération, la téléphonie présente des risques - Pierre Dubochet

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Pour la Confédération, il existe des preuves que les rayonnements faibles présentent des risques sanitaires

«Des recherches ont abouti à des observations plus ou moins bien étayées montrant d’autres effets biologiques qui ne peuvent être imputés à un réchauffement. Des preuves suffisantes d’un effet sur les flux cérébraux ont été établies d’après des critères scientifiques. Quelques indices démontrent par ailleurs une influence sur l’irrigation du cerveau, un effet nocif sur la qualité du sperme, voire une déstabilisation du patrimoine génétique, ainsi que des répercussions sur l’expression des gènes, sur la mort programmée des cellules et sur le stress oxydatif des cellules» (OFEV 2019).

© Pierre Dubochet, ing. radio
toxicologie des RNI
26 mai 2020
modifié le 27 mai 2020

Le risque hypothétique, le risque imprécis, le risque connu
Lecture : 5 min 20 | 1600 mots | Article en 3 parties
Au moyen de l’Ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI), la Confédération a réglé le droit fédéral sur le «rayonnement nuisible et incommodant» des installations fixes de manière exhaustive.
Quant aux appareils mobiles et portatifs, la protection de la population n’est pas le fait d’exigences nationales, puisqu’elles représenteraient des «entraves techniques au commerce». L’ORNI ne règle ainsi que les installations fixes d’une certaine importance.
Trois niveaux principaux de gestion du risque existent: d’abord la précaution, ensuite la prévention puis finalement la gestion du risque ordinaire.
La précaution s’applique si le risque tient de l’hypothèse. La prévention s’applique quand des mécanismes plausibles ou des observations —expérimentales ou épidémiologiques— donnent un fondement scientifique au risque en dépit d’incertitudes, spécialement liées à l’effet dose.
Quand les incertitudes sont levées, on a affaire à un risque connu.
Le Rapport explicatif de 1999 de l’ORNI n’utilise jamais le mot «précaution», mais bien le mot «prévention» —sept fois— et onze fois «préventif» ou «préventive».
Pour la Confédération, il existe donc depuis 1999 des preuves concluantes que le rayonnement non ionisant (RNI) faible est nocif. Le rayonnement faible est celui dont l’intensité est insuffisante pour chauffer dangereusement les tissus de l’organisme.
Depuis, des études solides ont confirmé ce qui était pressenti, et la communication de l'OFEV est un peu plus explicite. Quoique.

«Pour la Confédération, il existe donc depuis 1999 des preuves concluantes que le rayonnement non ionisant faible est nocif.»

Gestion du risque des RNI, monopole d’État
La Confédération est seule compétente pour les télécommunications (art. 92 Cst). Dans un souci de favoriser une exécution efficiente, elle refuse le moindre pouvoir environnemental ou sanitaire au droit cantonal ou communal, notamment «moratoires, preuves de l’innocuité du rayonnement, examens d’opportunité, preuves du besoin, interruptions nocturnes». Cantons et communes ne font que vérifier la conformité.
Les opérateurs sont obligés par leur licence concédée par l’État de fournir une «desserte de qualité». Les antennes sont généralement posées dans les zones à bâtir, zones présentées comme «imposées par leur destination». Le développement des réseaux de téléphonie mobile ayant été défini comme d’intérêt public, des intérêts particuliers ne peuvent pas empêcher la construction des réseaux. Il existe même un droit d’expropriation pour permettre la mise en place d’une station de téléphonie mobile (art. 36, al. 1, LTC).
Devant cet ensemble coercitif, on ne peut qu’être troublé de voir s’ajouter le manque patent de concertation entre la Confédération et des acteurs loin des jeux d’influence d’intérêts variés. Par décision des départements concernés, le public n’a pas l’occasion d’entendre ces acteurs s’exprimer librement lors des processus décisionnels.
Il n’y a pas organisation de débats publics entre experts qualifiés ne partageant pas la même interprétation des faits. Toute partie intéressée est privée de sa capacité à vérifier le caractère non biaisé des directives fédérales de protection contre le RNI.
Exprimé juridiquement, la Confédération légifère sur la protection de l’être humain et de son environnement naturel contre les atteintes nuisibles ou incommodantes (art. 1 LPE).
Exprimé scientifiquement, la Confédération s’ingère dans la production savante en suggérant voire en requalifiant telle interprétation ou présentation des faits et détermine les seuils d’exposition acceptables pour toute la population, spécialement à la téléphonie mobile, alors qu’elle est actionnaire majoritaire de Swisscom, le plus important opérateur de la branche, qui emploie un équivalent de 19’100 emplois à plein temps.

«Pour sa part, Swisscom déclare que l'exposition «conduit à une instabilité du génome et de ce fait à un cancer».

L'OFEV reconnaît les effets des RNI faibles
À propos de la téléphonie mobile, l’OFEV écrit: «Des recherches ont abouti à des observations plus ou moins bien étayées montrant d’autres effets biologiques qui ne peuvent être imputés à un réchauffement. Des preuves suffisantes d’un effet sur les flux cérébraux ont été établies d’après des critères scientifiques. Quelques indices démontrent par ailleurs une influence sur l’irrigation du cerveau, un effet nocif sur la qualité du sperme, voire une déstabilisation du patrimoine génétique, ainsi que des répercussions sur l’expression des gènes, sur la mort programmée des cellules et sur le stress oxydatif des cellules» (OFEV 2019).
Immédiatement après, l’OFEV enfonce des portes ouvertes: «On ne sait toutefois pas quelles en sont les éventuelles conséquences sur la santé, ni s’il existe des valeurs seuils en termes d’intensité et de durée du rayonnement». Nous allons examiner précisément pourquoi cette phrase n'a aucun sens, en dépit des apparences. L'OFEV écrit même le contraire de ce qu'il conviendrait d'écrire en pareil cas.
L’exposition chronique aux rayonnements de la téléphonie mobile à 1,4 V/m peut endommager l’ADN de riverains d’antennes-relais. «La persistance d’ADN non réparé entraîne une instabilité génomique qui peut évoluer vers des maladies incluant l’induction de cancer» (Zothansiama et coll. 2017). En autorisant des champs de 5 V/m, l’ORNI permet l’existence de champs de 1,4 V/m dans l’environnement.
Pour sa part, Swisscom déclare que l'exposition «conduit à une instabilité du génome et de ce fait à un cancer».
Si les lésions chromosomiques ont atteint des cellules germinales, ces mutations peuvent devenir héréditaires et se transmettre à toutes les cellules de la descendance.
Sur une page internet mise à jour le 15 novembre 2019, l'OFEV déclare qu'on a observé «une influence sur l'activité du cerveau humain, une apparition plus fréquente de tumeurs chez l'animal ou des modifications physiologiques dans des expériences in vitro», mais aussi «l'influence sur l’activité du cerveau pendant le sommeil et l’éveil».
De même «Dans une large étude épidémiologique avec 13 pays participants on a trouvé que les personnes qui avaient souvent téléphoné avec un téléphone mobile les 5 à 10 années précédentes avaient un risque plus élevé de développer des tumeurs malignes du cerveau et des tumeurs bénignes du nerf vestibulocochléaire».
Et aussi une «étude sur des souris a trouvé que l’exposition au rayonnement de haute fréquence combinée à un cancérigène chimique connu provoquait plus de tumeurs du foie et des poumons que le cancérigène chimique seul. Le rayonnement de haute fréquence semble donc avoir un effet cocarcinogène.»
L'OFEV continue: «Il existe donc incontestablement des effets athermiques, mais on ne sait pas comment ils se produisent. Les connaissances actuelles ne permettent pas non plus de dire si, et dans quelles conditions, ils présentent un risque pour la santé. Il n’est pas clair non plus ce que signifient les résultats des études sur les rats pour l’être humain. L'évaluation s'avère difficile, parce qu’on ne peut pas répéter certaines expériences ou que l’on a obtenu des résultats contradictoires.»
Affirmer que les résultats des études donnent des «résultats contradictoires» ou ne sont «pas homogènes» est un grand classique des personnes en lien d'intérêts pour retarder la prise de décision. J'explique ici pourquoi il est très rare que deux études sur les rayonnements parviennent au même résultat.
Lire que l'OFEV se demande si des tumeurs malignes du cerveau présentent oui ou non un risque pour la santé me laisse pantois.
Une communication aussi ambiguë voire trompeuse permet de continuer sur une voie sanitaire dangereuse en faisant croire qu'on y met de la bonne volonté: «Il faut donc poursuivre l'étude scientifique des effets du rayonnement de haute fréquence de faible intensité», explique l'OFEV. Je lis une phrase de ce genre après chaque étude qui laisse entendre un risque, depuis les années 1990...

«La seule discussion que nous pouvons maintenant avoir porte en fait sur le degré d’incertitude que nous acceptons.»

Le génome, cœur des instructions de la vie humaine
L’information génétique est inscrite dans la séquence des bases de l’ADN. Segments d’ADN, les 20’000 gènes codants humains renferment les «procédés» pour la synthèse des protéines. Une grande partie de ces protéines sont des enzymes qui dirigent la synthèse de presque toutes les molécules de l’organisme.
En conséquence, les gènes déterminent non seulement le sexe, le groupe sanguin, la fabrication de l’insuline, la vision correcte des couleurs et nombre d’autres caractères, y compris psychologiques, mais également les maladies génétiques, pour lesquelles quelques 1’400 gènes ont été identifiés.
L’information contenue dans l’ADN est transmise à chaque génération. Cette transmission est la pierre angulaire de la perpétuation de l’espèce.
Dans l’ADN, le génome se compose de deux ensembles d’instructions génétiques. Un provient de l’ovule (23 chromosomes) et un autre provient du spermatozoïde (23 chromosomes). Un gène correspond à la séquence d’ADN qui communique à la cellule les instructions nécessaires pour fabriquer une protéine particulière. Les gènes sont responsables de la transmission des traits normaux et anormaux d’une génération à l’autre.
L’humain possède environ 20’000 gènes codants répartis inégalement entre 23 paires de chromosomes. Puisqu’ils ne contiennent pas le même nombre de gènes, les chromosomes n’ont pas tous la même longueur. Un gène a un emplacement précis (locus) sur un chromosome. Par exemple, la quatrième bande de la région 3 du bras long (q) du chromosome 9 s’écrit: 9q34. C’est le gène qui détermine le groupe sanguin dans le système ABO.
Lisons l’OMS : «Si les cellules reproductrices subissent de telles modifications au niveau de l’ADN, ces modifications peuvent se transmettre à la descendance de la personne irradiée et donner lieu à des dommages héréditaires. [...] Même un risque très faible au niveau individuel, mais encouru par un très grand nombre de personnes, aura vraisemblablement des conséquences néfastes pouvant prendre la forme de cancers ou de dommages génétiques» (OMS 1987).
Le nombre de gènes codants pour des protéines est sensiblement le même chez tous les animaux. Mais la recherche dans les seuls gènes codants ne suffit pas pour comprendre la biologie du génome humain.
Les gènes qui codent pour des protéines représentent une partie seulement des gènes. Les autres gènes, les gènes non codants, ont été dans un premier temps mis de côté par les chercheurs qui estimaient qu’un gène devait engendrer une protéine. Aujourd’hui, la définition s’élargit et un gène peut agir directement sur la biochimie de la cellule par interaction notamment avec des protéines.
À ce jour, près de 22’000 gènes non codants ont été identifiés dans le génome humain, qui pourrait en comporter 100’000. Ce bagage génétique transmis d’une génération à l’autre a nécessairement une utilité.
Des chercheurs de l’Institut Weizmann en Israël observent que le nombre de gènes non codants serait corrélé à la complexité biologique des organismes. Ils sont surtout actifs dans le cerveau et dans l’embryon, où leurs actions sont difficiles à observer.
Ces publications complèteront utilement votre savoir :
Références
Brenner David et Sachs Rainer K. «Points de vue d’experts  de l’Université Columbia, New York, et de l’université de Californie, Berkeley»,  in «Controverse: les faibles doses de radiations ionisantes sont-elles  carcinogéniques?», Bulletin ·épidémiologique hebdomadaire, n° 15-16, 2006.
Brues J. S. «The New Emotionalism in Research» Journal of  Cancer Research, juillet 1955 p. 345-6.
Falcioni L, Bua L, Tibaldi E, Lauriola M, De Angelis L, Gnudi F, Mandrioli D, Manservigi M, Manservisi F, Manzoli I, Menghetti I, Montella R, Panzacchi S, Sgargi D, Strollo V, Vornoli A, Belpoggi F (2018): Report of final results regarding brain and heart tumors in Sprague-Dawley rats exposed from prenatal life until natural death to mobile phone radiofrequency field representative of a 1.8 GHz GSM base station environmental emission. Environ Res. 2018 Mar 7.
NTP (2018a): Actions from Peer Review of the Draft NTP Technical Reports on Cell Phone Radiofrequency Radiation March 26-28, 2018. National Toxicology Program, U.S. Department of Health and Human Services.
NTP (2018b): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in B6C3F1/N mice exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (1,900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 596. Released 2 Feb 2018.
NTP (2018c): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in Hsd: Sprague Dawley SD rats exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 595. Released 2 Feb 2018.
NTP (2018d): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in B6C3F1/N mice exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (1,900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 596. Released 1 Nov 2018.
NTP (2018e): NTP technical report on the toxicology and carcinogenesis studies in Hsd: Sprague Dawley SD rats exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (900 MHz) and modulations (GSM and CDMA) used by cell phones. National Toxicology Program, National Institutes of Health, Public Health Service, U.S. Department of Health and Human Sciences. NTP TR 595. Released 1 Nov 2018.
OFEV. Office fédéral de l’environnement, Informations à  l’intention des cantons du 17 avril 2019.
OMS, Effets génétiques des radiations chez l’homme,  1957.
OMS, Questions de santé mentale que pose l’utilisation de  l’énergie atomique à des fins pacifiques, 1958.
ICNIRP, Guidelines for limiting exposure to electric,  magnetic and electromagnetic fields, 2001 p. 4.
Stewart Alice, Leucémie infantile en Grande-Bretagne, avec  le Lady Tata Memorial Fund for Leukemia Research, British Medical Journal,  1956.
Toxicologie, Taschenatlas der Toxikologie, 2nd ed., by Franz-Xavier Reichl,  traduction de la 2e édition allemande Guide pratique de toxicologie, Éditions De  Boeck Université, 2002, p 288.
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