la fiabilité des calculs d’intensité des rayonnements autour d’un émetteur est limitée - Pierre Dubochet

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La fiabilité des calculs d’intensité des rayonnements autour d’un émetteur est limitée

En 2005, des ingénieurs accrédités ont démontré que «les valeurs mesurées s’écartent en partie largement des valeurs calculées» avec la méthode préconisée par l’OFEV. Il y a près de vingt ans qu’a été rapportée la preuve que le modèle mathématique de l’OFEV sur lequel se basent les opérateurs est imprécis. Cette imprécision est confirmée par la proportion d’une station sur cinq qui dépasse la limite à sa mise en service. Pourtant, rien ne change.
Les calculs de la fiche se basent sur un milieu parfait, inexistant
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L’opérateur de téléphonie mobile qui entend exploiter un nouvel émetteur est tenu à l’obligation de notifier en fournissant une «fiche de données spécifiques au site» à l’autorité compétente. Cette fiche contient les calculs de rayonnement prévu dans les lieux à utilisation sensible, les LUS.
Il s’agit d’un pur calcul du rayonnement sans informations tirées de mesures.
La méthode de calcul est décrite dans un document de 112 pages publié en 2002 par l’OFEFP (devenu OFEV) intitulé: L’environnement pratique, Stations de base de téléphonie mobile et raccordements sans fil (WLL), Recommandation d’exécution de l’ORNI (réf: VU-5801-F).
L’autorité de surveillance a rédigé cette publication en vue de concrétiser une pratique d’exécution uniforme des notions juridiques de lois et d’ordonnances. Les recommandations de l’OFEV «garantissent dans une grande mesure l’égalité devant la loi et la sécurité du droit». Elle ajoute: «Si les autorités d’exécution en tiennent compte, elles peuvent partir du principe qu’elles se conforment au droit fédéral» en page 4.
Cette publication remplace une méthode de calcul qui était valable jusqu’en juin 2002 et dont l’imprécision est de 35%.
Les nouvelles antennes qui fonctionnent en mode adaptatif sur 3500 MHz pour la 5G ont fait l’objet de nouvelles publications qui ne sont pas abordées dans le présent article.
LUS | lieu à utilisation sensible
  • les locaux situés à l’intérieur d’un bâtiment dans lesquels des personnes séjournent régulièrement durant une période prolongée;
  • les places de jeux publiques ou privées, définies dans un plan d’aménagement;
  • les parties de terrains non bâtis sur lesquelles des activités au sens ci-dessus sont permises.
[ORNI, art. 3, ch. 3]
Le modèle de calcul fait abstraction de l’environnement
La qualité du résultat du calcul dépend pour une grande part de l’analyse des données sur la distribution du rayonnement dans l’environnement et de l’utilisation de ces données dans le modèle de calcul.
La prévision des rayonnements dans l’environnement obtenue d’après la Recommandation d’exécution de l’ORNI publiée en 2002 par l’OFEFP-OFEV est-elle fiable? Non. Les calculs sont imprécis. Et je vais dire pourquoi. Ils se basent sur un milieu «parfait»: ils font abstraction de l’environnement! Un comble pour un document qui porte «L’environnement pratique» en son titre, qui prétend transmettre des connaissances utilisables directement dans le monde réel, et qui déclare que son application rend conforme au droit fédéral!
Eh oui: le milieu servant aux calculs préconisés par l’OFEV est homogène isotrope. C’est la caractéristique du modèle purement théorique. Celui-là même qu’on ne rencontre que rarement dans la vraie vie. L’OFEV l’assume: «Le calcul s’effectue en admettant des conditions de champ lointain et de propagation à l’air libre, sans tenir compte des réflexions ni des diffractions» (p. 24 ch. 2.3.1). Circulez, il n’y a rien à lire.
Les ondes radio se réfléchissent en permanence et de façon extrêmement complexe sur le tissu urbain. Toute surface appropriée est à même de les faire changer de direction. Parfois, une onde réfléchie arrive à la même place que l’onde au trajet direct. Si l’onde réfléchie arrive à cet endroit, disons avec 3,5 V/m parce qu’elle a perdu de l’intensité durant son trajet plus long, lorsqu’elle se combine avec l’onde directe arrivée avec 4,95 V/m, l’intensité peut dépasser 6 V/m.
Les ondes radio, avec leur longueur d’onde plus grande, ne se distribuent pas dans l’environnement dans les mêmes proportions que les ondes lumineuses, précisément en raison de leur taille. Mais les ondes lumineuses aident à mettre en évidence ce que sont les réflexions.
Les matières noires absorbent environ 90% des ondes lumineuses tandis que les matières blanches ont un albédo supérieur à 90%. Quand une surface claire reçoit de la lumière, elle réfléchit tout ce qu’elle n’absorbe pas dans ses environs. Les zones cachées de la source en reçoivent davantage du fait de la réflexion. Parfois un miroir qui reçoit la lumière directe du soleil provoque une tache lumineuse à grande distance. Si les ondes lumineuses ne se réfléchissaient pas dans l’environnement, il ferait noir dans les zones abritées de la lumière du soleil.
À l’OFEFP-OFEV, les réflexions n’existent pas au moment du calcul, seulement au moment de la mesure. Dans son document L’environnement pratique, Rayonnement non ionisant, Stations de base pour téléphonie mobile (GSM), Recommandation sur les mesures (réf: VU-5800-F) publié en 2002, l’OFEFP-OFEV indique «À l’intérieur des locaux, l’intensité de champ varie de manière très diverse; sur des distances relativement courtes du fait de réflexions» (p.18). Ce choix n’est pas sans conséquences.
© Pierre Dubochet, ing. radio
toxicologie des RNI
conflit d'intérêts : aucun avec cet article
25 avril 2023

Les calculs se basent sur un milieu «parfait»: ils font abstraction de l’environnement! Un comble pour un document qui porte «L’environnement pratique» en son titre, qui prétend transmettre des connaissances utilisables directement dans le monde réel, et qui déclare que son application rend conforme au droit fédéral!

Matière à réflexion
Si les ondes radio ne se réfléchissaient pas dans l’environnement de nos cités, nos appareils ne fonctionneraient que lorsque l’antenne du récepteur aurait l’antenne de l’émetteur en vue. Sans réflexions, dites adieu à la radio: aucune communication ne serait possible derrière un immeuble, du côté opposé à l’antenne. Quelque chose comme le 90% des connexions en téléphonie mobile se fait par réflexion(s).
L’angle de réflexion est égal à l’angle d’incidence. Ce dernier est l’angle avec lequel l’onde touche une surface. Une surface lisse réfléchit toutes les ondes dans la même direction (réflexion spéculaire). Une surface irrégulière propage les ondes dans des directions irrégulières (réflexion diffuse).
À l’image d’un miroir qui réfléchit le 100% de la lumière, diverses surfaces réfléchissent la totalité du rayonnement radio. Tels un plan d’eau, le verre traité contre les échanges thermiques (parfois, d’imposantes façades), les parois métalliques, les volets de fenêtres et portes de garage en métal ainsi que toute structure à l’intérieur de l’habitat: portes métalliques, structures métalliques de rampes d’escalier, d’ascenseurs, grands miroirs, etc. Le rapport scientifique 2002-2003 de l'INERIS sur la métrologie des champs magnétique évoque également la question des réflexions à l'intérieur des bâtiments (p.16). En France, l'INERIS est l'Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques.
Les murs, le béton, le goudron routier absorbent une part variable du rayonnement selon l’angle d’incidence et réfléchissent le reste. La réflexion augmente sur ces matériaux s’ils sont mouillés. Les tuiles, qui laissent passer le rayonnement, le réfléchissent un peu les jours de pluie. Les réflexions jouent un rôle majeur dans la distribution des ondes radio dans l’espace.
Une preuve qui n’a pas fait ses preuves
Accrédités par le METAS pour le mesurage des antennes, les ingénieurs de la Scuola universitaria professionale della Svizzera italiana (SUPSI) ont comparé entre 2001 et 2005 les valeurs mesurées aux valeurs de champ électrique calculées selon la méthode préconisée. Pour cela, 400 LUS ont été visités à proximité de 91 émetteurs tessinois.
Ils ont rendu leur rapport en 2005. Sur leur graphe (reproduit dans l’image d’en-tête) dont l’axe des x tient compte de la grandeur de la valeur calculée par rapport à la limite, les valeurs mesurées devraient correspondre aux valeurs calculées et se situer sur une diagonale. Tel n’est clairement pas le cas. Les mesures entourées d'un cercle rouge dépassent la valeur autorisée.
L’appréciation par les ingénieurs de la SUPSI de la méthode de calcul de l’OFEV pour le calcul de la prévision de rayonnement dans les LUS publiée en 2002 est sévère: «les valeurs mesurées s’écartent en partie largement des valeurs calculées». En outre, écrivent-ils, «nous recommandons une évaluation approfondie de la situation sur place».
Sous l’angle statistique, les mesures des ingénieurs de la SUPSI montrent que les intensités prévues entre 2 et 4 V/m sont les plus exactes. Les prévisions d’intensité inférieures à 2 V/m sont souvent surestimées —le rayonnement mesuré est plus faible que le rayonnement prévu— car, plafonnée à 15 dB, l’atténuation est parfois insuffisante.
Les prévisions d’intensité supérieures à 4 V/m ont tendance à être sous-estimées. Ce qui pose un risque de dépassement de plus en plus aigu quand la valeur calculée tend à s’approcher de la valeur limite de l’installation (VLInst). De fait, la mesure révèle des intensités supérieures aux calculs dans 20% des cas, allant jusqu’à 7 ; 7,5 et même 8,5 V/m.
Puisque la méthode de calcul de champ électrique dans l’environnement d’un émetteur de l’OFEV fait abstraction de l’environnement et s’effectue en condition de propagation en champ libre, l’opérateur est autorisé de fournir une fiche de données spécifiques au site comme celle-ci qui calcule 4,99 V/m dans le LUS 1 et 4,99 V/m dans le LUS 2 et 4,96 V/m dans le LUS 3.
Une telle prévision exploite le 99,6% de l’intensité disponible. Autour de cet émetteur —si tant est que les calculs sont corrects—, le moindre élément qui réfléchit les ondes radio est susceptible de provoquer un dépassement du champ électrique légal dans un LUS.
La mesure de réception
Au plus tard six mois après la mise en service de l’émetteur de téléphonie mobile, une entreprise accréditée mandatée par l’opérateur doit vérifier que le rayonnement respecte la valeur limite de l’installation. C’est la «mesure de réception». Durant cette demi-année, le rayonnement peut donc dépasser en toute légalité la valeur limite de l’installation.
Considérant les écarts observés, les ingénieurs de la SUPSI jugent que la mesure de réception devrait être faite dans tout LUS dont la prévision est égale ou supérieure à 60% de VLInst. Ils considèrent qu’avec une VLInst de 5 V/m, tous les LUS avec une prévision ≥3 V/m devraient être vérifiés, car on pourrait y mesurer un rayonnement supérieur à 5 V/m.
Dans sa Recommandation d’exécution de l’ORNI pour les stations de base pour téléphonie mobile et raccordements sans fil publiée en 2002, l’OFEV recommande une mesure de réception seulement si la prévision vaut ≥80% de la VLInst (p.20). Ceci équivaut à 4 V/m avec une limite à 5 V/m.
Malgré les preuves évidentes rapportées par la SUPSI sur n’inadéquation de la méthode de calcul et les raisons sérieuses de procéder à davantage de mesures de réception, à ce jour l’OFEV maintient son opinion. Il existe probablement des centaines de LUS exposés à un champ électrique supérieur à 5 V/m qui ne seront jamais contrôlés, parce que la prévision de champ y est inférieure à 4 V/m et que les autorités d’exécution (les communes) peuvent s’en tenir à une recommandation fédérale.
Selon les recherches des journalistes de K-Tipp (lire ma brève - ouvre un nouvel onglet), une station sur cinq mesurée pour la première fois (une sur quatre en Valais, dans les cantons de Fribourg et Zoug, une sur trois en Appenzell Rhodes-Extérieures, plus d’une sur deux dans le canton de Berne) entre 2018 et 2021 ne respecte pas l’ordonnance sur le rayonnement non ionisant (ORNI).
Il y a concordance entre les 20% des stations qui dépassent la limite fédérale selon les rapports de mesure de réception récents et les 20% de stations qui dépassent la limite fédérale selon les recherches du SUPSI publiées en 2005.
Voici donc deux preuves que le modèle «pire cas» —le leitmotiv de la littérature officielle qui prétend garantir le respect des valeurs les plus hautes— est faux.
Comprenez que je sois préoccupé que la fiche de données spécifiques au site soit une preuve devant un tribunal, alors que sous l'angle statistique et dans les faits, la limite de rayonnements est dépassée une fois sur cinq avec une fiche qui semble conforme.
Des exploitations à 150%, voire 200% de la valeur légale sont mesurées. Même à 470% en Valais. Qu’arrive-t-il à l’opérateur qui émet trop fort? Rien. Il dispose de 24 heures pour diminuer l’intensité à la valeur conforme. Circulez, il n’y a rien à lire.
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