Pour qu’une station 5G soit autorisée, la constructrice doit indiquer comment ses équipements seront réglés. Le Tribunal fédéral refuse une lacune constante sur les fiches de données spécifiques au site.
Le facteur de correction —qui autorise certaines antennes 5G à émettre temporairement avec au plus dix fois la puissance mentionnée— continue de diviser opposants et opérateurs. Ces derniers doivent indiquer la valeur du facteur de correction qu’ils entendent exploiter. Plusieurs milliers de stations sont concernées.
© Pierre Dubochet, ing. radio
toxicologie des RNI
conflit d'intérêts : aucun avec cet article
30 décembre 2024
Dépassée, la limite !
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Il y a quelque chose de fascinant à observer comment des individus croient pouvoir contourner un système à leur avantage. En l’occurrence, il s’agit, pour les opérateurs, de croire qu’ils pouvaient, en dépit de trois refus successifs d’élever la valeur limite de l’installation (VLInst), dépasser cette valeur au moyen des antennes adaptatives à formation de faisceau. Pour la plupart des installations de téléphonie mobile, la VLInst a été fixée à 5 V/m dans l’ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI) en 1999. La VLInst est l’intensité électrique dans les lieux à utilisation sensible, les lieux où la population se tient régulièrement pour de longues périodes.
Les antennes à formation de faisceau concentrent les ondes sur une zone étroite, zone qu’un ordinateur embarqué dirige là où il détecte le terminal de l’abonné, en régulant la phase du signal adressé à de séries de sous-réseaux d’antennes. Ces dernières années, les opérateurs ont beaucoup misé sur ce type d’antennes pour absorber la hausse de la consommation de données du réseau mobile. Problème: ces modèles génèrent à grande distance un champ électrique supérieur à 5 V/m. L’OFEV s’est senti apte à approuver des champs jusqu’à 15,8 V/m dans ses recommandations.
La réaction face à une limite
Dans une entreprise, confrontés à une limite technique ou juridique, certains se font un devoir de chercher une solution pour la contourner. Les uns actionnent leur intelligence et leur expertise en cherchant des solutions innovantes. Parfois, on leur doit un bond dans un secteur technologique. Ou alors, ils admettent que la technique actuelle en est à son maximum.
Ne s’avouant jamais vaincus, d’autres sont prêts à toutes les combines. Une mauvaise appréciation peut cependant avoir des conséquences sérieuses: devoir tout recommencer en supportant les coûts associés et la perte de temps.
Les antennes à formation de faisceau concentrent le rayonnement sur une zone étroite, où l’intensité peut dépasser à grande distance la limite légale de 5 V/m. L’OFEV s’est senti apte à approuver des champs jusqu’à 15,8 V/m.
L’ORNI hier...
Lorsque les auteurs de l’ORNI se sont attelés à la tâche difficile de rédiger le texte qui devait protéger de façon préventive l’homme contre le rayonnement non ionisant nuisible ou incommodant selon le principe de précaution régi par la loi sur la protection de l’environnement, une cohorte de professionnels des métiers de l’électricité, du transport du courant et des émetteurs ont tenté de vider l’ordonnance de sa substance.
D’innombrables points relatifs à la téléphonie mobile examinés durant les échanges a conduit le législateur à énoncer dans le texte de nombreuses caractéristiques relatives à ses émetteurs, peaufinées dans plusieurs mises à jour rendues nécessaires par l’évolution technique. Si bien que le texte empêche d’autres interprétations que celles voulues par le législateur.
... l’ornière aujourd’hui
La branche espérait une limite à 20 V/m. Une hausse a été refusée en 2016. Puis en 2018. Encore en 2020. En 2021, le Parlement a refusé de mettre une discussion sur la hausse à l’ordre du jour. Les opérateurs sont libres d’investir dans les antennes à formation de faisceau, du moment qu’elles ne rayonnent pas plus intensément que les antennes sectorielles.
S’ils avaient eu un minimum d’esprit critique et la curiosité d’examiner les dépôts de brevet, les opérateurs se seraient rendu compte que les équipementiers leur proposaient une technologie dépassée, inutilement gourmande en énergie et source d’obstacles peu franchissables. Le bon sens commandait à se résigner au fait que la plupart des modèles de ce type n’étaient pas exploitables en Suisse en raison des limites de l’ORNI.
Swisscom met la pression dès 2016 et réclame la mise aux enchères des fréquences de la 5G. En 2017, davantage intéressé par la vente de ses systèmes qu’à saisir le fond de notre ORNI, Ericsson propose à l’OFCOM et à l’OFEV d’introduire sa méthode pour réévaluer le rayonnement.
Alors que tous les indicateurs étaient au rouge, certains se sont mis en tête d’introduire une technologie inutile considérant le droit suisse. Ce faisant, ils se sont mis à creuser une ornière dans laquelle allaient s’enliser des milliers d’installations.
L’OFEV connecté à l’aveuglement enthousiaste d’Ericsson
Singulièrement connecté à l’aveuglement enthousiaste d’Ericsson, l’OFEV planche pour rendre conformes des antennes à formation de faisceau trop puissantes pour fonctionner en Suisse. Il accouche, pour les antennes adaptatives, d’un complément du 23 février 2021* dans lequel il croit pouvoir faire fi d’une ribambelle d’alinéas de l’ORNI.
*Antennes adaptatives. Complément du 23 février 2021 à la recommandation d’exécution de l’ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI) concernant les stations de base pour téléphonie mobile et raccordements sans fil (WLL), OFEFP, 2002.
On s’est mis à croire à l’OFEV que la concentration des ondes radio sur une zone plus petite justifiait de pouvoir dépasser la limite. Sa phrase est: «En raison des propriétés spécifiques des antennes adaptatives, la variabilité des directions d’émission et des diagrammes d’antenne doit également être prise en considération».
Les comparaisons sont hasardeuses, je me risque quand même à l’exemple suivant. Un constructeur automobile développe des modèles avec des caractéristiques de vitesse et de sécurité spécifiques. Parlant des limites de vitesse des routes suisses, imaginons qu'un département fédéral recommande: «en raison des propriétés spécifiques de ces modèles, leurs performances et leur sécurité doivent également être prises en considération». Croyez-vous que ces véhicules pourraient jouir de limites de vitesse repoussées par un facteur grâce à une recommandation de cet office? C'est de ceci que nous parlons.
Les recommandations de l’OFEV aident la justice à prendre ses décisions mais, n’étant pas des sources de droit, n’obligent pas les tribunaux qui peuvent s’en écarter s’ils l’estiment nécessaire.
Si de trop nombreux lecteurs se laissent duper par la vision erronée de l’OFEV, la vive opposition qui s’élève incite la DTAP* à initier une révision de l’ORNI. L’information de l’ouverture de cette consultation ne circule pas auprès du public —fait révélateur en soi— si bien que le Conseil fédéral est libre de faire entrer en vigueur quelques modifications dans l'ordonnance au premier janvier 2022.
* Les membres des gouvernements des cantons suisses responsables des travaux publics, de l’aménagement du territoire, de l’environnement, des routes, du transport et des marchés publics, constituent la Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement.
Les ajouts concernent notamment des alinéas dans l’annexe 1 chiffre 63 ORNI, qui stipulent que les antennes à formation de faisceau peuvent se voir appliquer un facteur de correction sur la puissance. Grâce à l’ordonnance, l’autorité hiérarchique supérieure indique la décision à prendre à l’autorité compétente quand il lui revient de trancher un litige.
D’aucuns croient que tout ceci allait renforcer la sécurité du droit et empêcher les citoyens de contrer le favoritisme accordé aux antennes à formation de faisceau.
Ont-ils lu, ont-ils compris la volonté du législateur qui a rédigé l’ORNI?
Le voisinage doit être informé d’un changement des immissions
Je conçois que le président de la Confédération Guy Parmelin et le chancelier de la Confédération Walter Thurnherr signent et valident des modifications de l’ordonnance sans maîtriser toute la portée technique et juridique de l’affaire, parce qu’ils ne peuvent pas eux-mêmes maîtriser le fond des innombrables situations auxquelles ils sont confrontés. Ils n’ont d’autre choix que de s’en remettre à leurs conseillers.
Que ceux-ci, que le personnel de l’OFEV et la DTAP aient une conception erronée du droit est moins acceptable.
Forts de divers écrits, les opérateurs se sont mis à déposer des fiches de données spécifiques au site fondées sur les recommandations de l’OFEV pour des centaines et des centaines de sites. Ceci représente un volume de travail considérable.
D’aucuns ont déposé nombre de fiches pour des sites équipés d’antennes à formation de faisceau sans appliquer le facteur de correction. Une fois la station mise en service, l’opérateur signalait l’activation de cette fonction par une procédure simplifiée à la municipalité sans mise à l’enquête publique.
Dans mes expertises de stations mises à l’enquête, j’ai signalé dès 2022 que cette façon de faire n’était pas conforme au droit.
Un autre expert privé a soutenu la commune de Wil dans une démarche similaire. Sourd à toutes les décisions administratives, l’opérateur risque le tout pour le tout en recourant au Tribunal fédéral. Qui le déboute (1C_506/2023 du 23 avril 2024, lire Facteur de correction, le Tribunal fédéral a tranché, ouvre un nouvel onglet).
Le voisinage doit être informé d’un changement des immissions. Une mise à l’enquête est ainsi nécessaire pour l’activation du facteur de correction, décide le Tribunal fédéral. La décision rend caduques des milliers de procédures simplifiées dites aussi «bagatelles».
Une montagne de dossiers à reprendre s’abat sur les opérateurs, les services spécialisés, les municipalités, les tribunaux, les avocats, les experts privés, le voisinage des stations.
D’aucuns ont déposé nombre de fiches pour des sites équipés d’antennes à formation de faisceau sans appliquer le facteur de correction. Une fois la station mise en service, l’opérateur signalait l’activation de cette fonction par une procédure simplifiée à la municipalité sans mise à l’enquête publique.
La fiche doit chiffrer le facteur de correction prévu
Tout le monde s’active à remettre les choses sur le droit chemin. Les procédures ouvertes suivent leur cours, au gré du contenu des dossiers et des moyens des recourants de faire valoir leurs droits jusqu’au Tribunal fédéral.
Une procédure entreprise à Sarnen fait écrire au Tribunal fédéral que non seulement la mise à l’enquête publique est obligatoire, mais en plus que les parties de la station non conformes à l’autorisation en cours doivent être mise hors service (1C_414/2022 du 29 août 2024). En clair, les antennes qui exploitent un facteur de correction non obtenu à la suite d’une mise à l’enquête publique doivent être éteintes. Des milliers de sites sont concernés.
C’est la douche froide pour les opérateurs. Elle ne fait que commencer.
L’OFEV a catégorisé quatre groupes d’antennes à formation de faisceau en fonction du nombre de sous-réseaux d’antennes. Une valeur maximale du facteur de correction a été définie pour chacun. Par exemple, une antenne disposant de 64 sous-réseaux ou plus a droit à un facteur de correction jusqu’à 10, ce qui autorise une puissance multipliée par dix au plus. L’ORNI a reproduit ces catégories dès janvier 2022.
Le facteur est une variable, plafonnée. À Winterthur s’est posée la question de l’absence de la valeur du facteur de correction sur la fiche de données spécifique au site. Rien n’indique comment la constructrice prévoit de régler sa station. Appelée à se prononcer sur cet aspect lacunaire, notre Haute Cour écrit «il ne suffit pas, pour autoriser l’application de facteurs de correction, que la fiche de données spécifiques au site de la station de base de téléphonie mobile mentionne uniquement que, parmi les antennes à autoriser, il y en a qui fonctionnent de manière adaptative et que le nombre de sous-réseaux soit indiqué» (traduction, 1C_310/2024 du 18 octobre 2024, consid. 2.2).
La fiche doit donc chiffrer le facteur de correction prévu. À l’échelle suisse, il semble que huit cents à mille fiches ont été refaites et envoyées pour une mise à l’enquête à la suite de la décision «Wil» du 23 avril 2024. Plus de 200 demandes de permis de construire auraient été publiées. La décision «Winterthur» du 18 octobre les rend caduques. Tout est à refaire.
Farceur de correction
Depuis au moins 2017 il est établi que, pour l’essentiel, le catalogue des antennes à formation de faisceau n’offre pas de modèles à même d’intéresser le marché suisse considérant leur construction destinée à générer des rayonnements incompatibles avec nos aménagements urbains et la prévention inscrite dans le droit. En parallèle, des mises en garde ont été effectuées sur la complexité de l’évaluation de leur champ électrique. Lesquelles n’ont pas non plus été entendues en Suisse, comme le prouve la publication de divers documents en contradiction avec l’état de l’art.
En dépit de signes clairs, les opérateurs se sont laissés convaincre par les fabricants que cette technologie avait sa place dans notre pays. Ils ont réussi à introduire ce qui ressemble à un farceur de correction. Ils imaginaient faire accroire la légitimité d’une méthode d’évaluation alternative en fournissant des explications trompeuses à divers groupes dont la fonction consiste à rédiger des recommandations.
Il serait trop long de détailler ici les conflits que cette technologie crée avec l’ORNI. Je m’en tiens à la valeur limite de l’installation, régulièrement dépassée avec de telles antennes. Essayez donc de trouver une justification au dépassement de la «vitesse maximale 50, limite générale» figurant dans l’ordonnance sur les règles de la circulation routière (art.4a47 al.1 let.a). À croire certains anticonformistes peu rationnels, la signification du mot «limite» dans l’ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant serait différente de sa signification dans l’ordonnance sur les règles de la circulation routière. User de subterfuges pour espérer échapper à la réalité apparaissait vain dès le départ.
Au lieu de prendre acte, certains ont refusé d’admettre que cette technologie allait nous mener droit au mur. Résultat: des ressources sont mobilisées depuis cinq ans au moins en vue de rédiger des mises au point juridiques pour la 5G. Alors que nous nous préparons à entrer en 2025, la sécurité juridique des antennes à formation de faisceau n'est de loin pas atteinte. Des réexamens sont prévisibles.
La DTAP, qui a parfois une singulière lecture du droit et de la technique (lire Puissance décuplée, pas de permis: 6 mois de rab, le cadeau de la DTAP aux opérateurs! ouvre un nouvel onglet), est désavouée par le Tribunal fédéral (1C_414/2022 du 29 août 2024, consid.4.3.3), non sans avoir semé le trouble et le désordre dans un domaine où l’on a souci de rigueur.
Qui voit clair comprend qu’il est inutile d’accuser opposants et recourants de ralentir la 5G en Suisse. En 2024, le Tribunal fédéral leur a donné raison à au moins quatre reprises sur la question du facteur de correction. La gifle est magistrale pour les opérateurs et leurs armadas d’avocats.
Lassés des contorsions intellectuelles autour du facteur de correction tandis que des milliers d’antennes rayonnent depuis trop longtemps au-delà de ce qui est autorisé, des recourants se disent désormais prêts à déposer des plaintes fondées sur le droit de la construction. Mais ce n’est pas tout. Divers acteurs —dont votre serviteur— ont conclu que le facteur de correction n’est pas compatible avec le droit: 2025 s’annonce «annus horribilis» pour les opérateurs.


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